Infrastructure Deal : ce que change la nouvelle loi américaine

C’est l’investissement le plus important jamais réalisé par l’État fédéral américain pour les transports publics. L’« Infrastructure Investment and Jobs Act » (IIJA), la nouvelle loi bipartisane sur les infrastructures des États-Unis, garantit le financement de milliards de dollars supplémentaires pour des projets servant une mobilité plus efficace, plus écologique et plus équitable. Mais les opérateurs de transports en commun américains n’ont pas attendu cette nouvelle manne financière pour aller de l’avant. Interview croisée avec deux représentants d’Autorités Organisatrices de Mobilité locales pour comprendre les implications de cette nouvelle loi.

Le financement en faveur des transports comprend :

  • 110 MDS$ pour la réparation des routes et des ponts

  • 89,9 MDS$ pour les transports publics

  • 66 MDS$ pour le ferroviaire

  • 7,5 MDS$ pour un réseau national de chargeurs de véhicules électriques

  • Ces investissements devraient, avec d’autres, créer 1,5 M d’emplois par an au cours des dix prochaines annéesPulse

“Pour moi, l’enjeu est aussi celui d’un air plus propre : qu’il y ait moins de voitures dans les rues et davantage de gens dans des bus électriques.”

Ed Lawson

Président du Comité régional des transports (CRT) de Washoe et maire de la ville de Sparks, dans le comté de Washoe, au Nevada (USA)

 

“Cette nouvelle loi est une bonne nouvelle pour le secteur, mais notre réussite dépend des passagers qui empruntent nos réseaux.”

Bob Schneider

Directeur exécutif d’OmniRide, organisme de transports publics du comté de Prince William, en Virginie (USA)

 

Avec Ed LAWSON & Bob SCHNEIDER

Promulguée en novembre 2021, la loi bipartisane en faveur des infrastructures promet d’être une avancée significative pour les transports publics. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation ?

ED LAWSON − Comme pour tous les programmes gouvernementaux, nous sommes ravis que des fonds existent. Nous devons avancer pas à pas, faire une demande de subvention, car son obtention n’est pas toujours garantie. Dans ce cas précis, cela nous permettrait de réorienter une partie de nos fonds actuellement mobilisés sur d’autres projets. Mais si nous n’obtenons rien, nous continuerons à aller de l’avant malgré tout. Même si nous avons toujours bon espoir que cela arrive, nous ne pouvons pas raisonnablement compter pour le moment sur cette nouvelle source fédérale de financement.

BOB SCHNEIDER − Cette nouvelle loi est une bonne nouvelle pour le secteur. Les réseaux de transport qui siègent au sein du conseil de leur propre région pourront en bénéficier. Cependant, des réseaux qui, comme OmniRide, ne reçoivent pas d’importants financements fédéraux vont devoir prendre des décisions concernant des projets sans avoir de visibilité quant à l’impact de cette nouvelle loi sur leur avenir fiscal. Voilà pourquoi nous n’attendons pas uniquement après ce type de financements pour aller de l’avant. Notre réussite dépend des passagers qui empruntent nos réseaux.

Quelles subventions avez-vous demandées ?

ED LAWSON − Nous avons principalement demandé des financements pour l’aménagement des ponts. C’est un domaine dans lequel le financement est relativement facile, surtout dans notre comté de Washoe, où les risques sismiques sont importants. Nous avons aussi sollicité un financement supplémentaire pour poursuivre notre objectif de bus à zéro émission et construire un nouveau centre technique pour les bus. Notre but est de parvenir à zéro émission pour la totalité de notre flotte. Nous espérons par ailleurs obtenir un plan de financement (sans concurrence) pour plusieurs projets d’élargissement des voies existantes mais aussi pour l’amélioration de la sécurité des conducteurs, des piétons et des cyclistes. Le programme de financement RAISE pour la reconstruction des infrastructures des États-Unis de manière durable et équitable pourrait également aider le Comité régional des transports de Washoe à mener à bien des projets sur les principales routes régionales de notre commune.

BOB SCHNEIDER − Côté subventions, nous avons présenté une simple demande pour des véhicules de transport adapté et des véhicules de fonction. Nous pensions que ce serait une formalité car ces technologies sont facilement disponibles. Cette demande n’a malheureusement pas abouti. Lorsque l’on gère un réseau de bus comme le nôtre, il n’y a que deux véritables postes de dépenses : l’achat de matériel et le remplacement des installations. Jusqu’à présent, cette nouvelle loi nous a permis de débloquer deux millions de dollars supplémentaires, mais nous avons paradoxalement obtenu davantage de fonds de la part de l’État de Virginie.

Ainsi, vous continuez à avancer sans forcément compter sur un financement supplémentaire. Quelles sont vos priorités ? En quoi correspondent-elles aux objectifs de ce nouveau deal ?

ED LAWSON − Nous avons un plan sur 50 ans et nos priorités évoluent à mesure que nous avançons. Mais en définitive, il s’agit d’élargir le réseau et de transporter davantage de passagers. Pour moi, l’enjeu est aussi celui d’un air plus propre : qu’il y ait moins de voitures dans les rues et davantage de gens dans des bus électriques. C’est bon pour l’environnement, bon pour la collectivité et, espérons-le, bon pour la qualité de vie des citoyens concernés.

BOB SCHNEIDER − Je pense que les réseaux de transports en commun devraient prêter une attention toute particulière à l’évolution des schémas de déplacements et aux besoins des clients. Nous commençons à nous intéresser à l’égalité d’accès aux dessertes. Par le passé, tout ce qui comptait était le rendement des itinéraires. On les supprimait si leur fréquentation était inférieure à un certain niveau. À présent, nous reconnaissons qu’il existe des communes mal desservies, dont le taux de fréquentation sera toujours faible, et nous sommes à l’aise avec cela. C’est l’une des choses que la nouvelle loi peut aider à financer : pouvoir maintenant investir dans des zones économiquement sinistrées. La question qui se pose désormais est : sommes-nous en capacité d’offrir à chacun la même qualité de service de transport dans cette commune que dans une zone plus peuplée et plus riche ?

Pouvez-vous donner quelques exemples concrets ?

ED LAWSON − L’une de nos priorités concerne les grandes artères de circulation. La plupart des gens qui vivent dans la région des North Valleys doivent faire la navette sur la seule route existante, la I-80. Avoir d’autres itinéraires nous aiderait énormément. Nous avons donc un projet de route qui doit relier La Posada, dans le nord de la ville de Sparks, au centre industriel de Tahoe-Reno. Cela permettrait de réduire considérablement le nombre de trajets quotidiens sur la I-80, de réduire le nombre d’accidents de la route et de diviser par deux le temps de trajet. Ce projet permettrait également de diminuer nos émissions de carbone d’environ 25 tonnes par jour. D’autres priorités portent sur les liaisons desservant la I-80 depuis la région des North Valleys.

BOB SCHNEIDER − Notre réseau est principalement conçu pour ceux qui font le trajet quotidien vers leur lieu de travail. Nous avons également un service local gratuit. Nous avons récemment discuté de la possibilité d’améliorer nos dessertes le samedi ou d’ajouter un service le dimanche, afin que la commune puisse être desservie sept jours sur sept. Même si cela revient bien moins cher de ne circuler que le samedi, nous avons choisi d’ajouter un service le dimanche pour des raisons d’équité. Nous avons également mis en place une solution de « microtransit », qui est notre Uber local, grâce à une technologie que le Groupe Keolis nous aide à déployer. Le microtransit délimite ainsi une zone à l’intérieur de laquelle chacun peut accéder à un itinéraire de transport en commun par un système de covoiturage vers les arrêts de bus.

Selon vous, comment le taux de fréquentation va-t-il évoluer dans un avenir proche ?

ED LAWSON − La pandémie a tout bouleversé et nous continuons de travailler pour relancer la fréquentation. Il y a deux mois, j’ai passé quelques jours comme passager de bus. C’est plutôt pratique, à condition de ne plus penser nos déplacements comme un automobiliste. Si davantage de personnes essaient les transports publics, je suis convaincu qu’elles seront nombreuses à les adopter. J’ai ainsi noué un partenariat avec le directeur d’une école primaire en proposant des pass de bus gratuits aux parents pour qu’ils les essaient, et tenter d’augmenter la fréquentation. Parce que notre commune est assez petite, je pense que c’est par le terrain que cela fonctionnera.

BOB SCHNEIDER − Sur notre service de navettes, l’un des grands changements tient au phénomène des déménage ments en masse et à l’explosion du télétravail. Sur la commune, nous avons un afflux de résidents. Mais bien que les habitants soient plus nombreux, ils sont proportionnellement moins à faire la navette au quotidien, ce qui permet, au final, d’équilibrer nos chiffres. Sur les dessertes locales, la fréquentation a rapidement retrouvé son niveau prépandémie, sauf pour la population des seniors, qui hésite à revenir dans les transports par peur de la Covid. Comme notre réseau est robuste, nous sommes en capacité d’adapter nos dessertes à ces nouvelles demandes.