En quelques mois, Keolis a changé de dimension en Île-de-France. Le groupe franco-canadien (détenu à 70 % par la SNCF et à 30 % par la Caisse de dépôt et placement du Québec) emploie plus de 7 000 personnes en région parisienne. Et il pourrait bientôt passer le cap des 10 000 employés. Keolis a en effet remporté plusieurs grosses délégations de service public attribuées par Île-de-France Mobilités (IDFM), l’autorité organisatrice des transports.

En plus des futures lignes 16, 17 et 18 du Grand Paris Express, il est l’opérateur (seul ou associé) des tramways T4, T9, T11, T12, T13 et du PAM régional, pour les voyageurs à mobilité réduite. Côté bus, la société exploite plus de 200 lignes en grande couronne. À partir de novembre 2025, l’entreprise accueillera 1 200 salariés supplémentaires pour opérer les 42 lignes du lot « Marne et Brie », couvrant la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne et la Seine-et-Marne.

Leader mondial du métro automatique, Keolis s’affirme de plus en plus comme LE challenger direct du groupe RATP en région parisienne. Marie-Ange Debon, à la tête de Keolis depuis 2020, nous en dit plus sur le service qu’elle souhaite apporter aux usagers franciliens.

Beaucoup de voyageurs s’interrogent sur les progrès à attendre quand une ligne de bus, de tramway ou de train change d’exploitant. Que leur dites-vous ?

MARIE-ANGEDEBON. Les usagers comprennent l’intérêt de la concurrence lorsqu’on fait le parallèle avec d’autres secteurs économiques. Ils voient parfaitement que lorsqu’on a le choix entre plusieurs services ou plusieurs produits, la concurrence a un effet de stimulation collective. Dans les transports, elle permet d’avoir une meilleure qualité de service, notamment sur la fréquence, la propreté ou l’information voyageurs, qui est une vraie priorité d’Îlede-France Mobilités, au prix le plus ajusté.

Pour les bus en grande couronne, ouverts depuis 2021, quel premier bilan tirez-vous ?

En grande couronne, le modèle a vraiment changé. Le découpage en 36 réseaux a permis de répondre aux besoins de bassins de mobilité plus cohérents. La concurrence a été organisée de manière pertinente par Île-de-France Mobilités. Je suis persuadée qu’elle sera bénéfique aux usagers, et qu’elle va l’être de plus en plus. Il faut aussi que les opérateurs aient des comportements qui soient vertueux, et ne proposent pas des prix en dessous de leurs coûts et donc à perte.

À Paris et en petite couronne, c’est maintenant au tour des 15 000 machinistes de la RATP d’être transférés, d’ici fin 2026. Comment Keolis compte les accueillir pour éviter les conflits et les perturbations ?

Nous accueillerons cet été des collaborateurs Transdev et ensuite des collaborateurs RATP, sur les lignes du lot « Marne et Brie ». Chez Keolis, nous avons toujours appliqué la même règle. Nous sommes dans une démarche de dialogue social et de construction d’une relation de confiance avec les collaborateurs. Nous sommes dans un métier de service qui repose sur des femmes et des hommes, qui assurent le service au quotidien. Il faut avoir des managers de proximité et de qualité. Nous venons par exemple de former 2 000 cadres au management. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur la planification du temps de travail, pour mieux prendre en compte les choix et les rythmes de vie des conducteurs et proposer des roulements les plus personnalisés possible. Nous sommes dans une logique de « sur-mesure » car tous nos collaborateurs sont essentiels

Sur le tram T9, mais aussi les T12 et T13, que Keolis a perdus au profit d’une filiale de la RATP, il y a eu des débuts difficiles et une grève récemment. Quelles erreurs ont été commises ?

Il y a eu deux sujets qui ont expliqué les difficultés au démarrage : la disponibilité de conducteurs formés et le matériel roulant. Sur les T12 et T13, nous avions des formations spécifiques pour la conduite puisque nous sommes sur une partie en tram-train. Il y a eu plus d’échecs à la formation que nous l’avions envisagé, nous avons dû relancer des cycles pour trouver de nouveaux collaborateurs. Et puis on a rencontré des difficultés sur le matériel roulant. Face à ces aléas, nous organisons des négociations quand il y a des incidents majeurs sur le réseau, ou sur le matériel roulant.

Keolis a son centre de régulation des lignes de bus à La Plaine Saint-Denis. Les régulateurs du Korriva sont en échange permanent avec les conducteurs de bus en cas de problèmes (embouteillages à détourner,
agressions…). LP/Léa Jaffredo. 

Le service PAM régional, pour les personnes à mobilité réduite, que vous avez lancé, a lui aussi connu des mois chaotiques. Avez-vous redressé la barre ?

Les choses vont beaucoup mieux. Dans le cadre de la régionalisation du service PAM, nous avons regroupé plusieurs départements, qui n’avaient jusque-là pas les mêmes règles de fonctionnement. Nous avons par exemple dû gérer des règles de réservation différentes, ajuster les temps d’attente, qui ont pu aussi être modifiés, du fait du groupage des courses. Donc forcément, il y a eu une phase où les usagers devaient, eux aussi, apprendre ces nouvelles règles. Il est vrai que nous avons connu des dysfonctionnements. Mais aujourd’hui, nous assurons 70 000 trajets par mois, ce qui est très bien. Nous avons un très bon taux de réponse, supérieur aux exigences contractuelles. Sur les taux de refus de courses, tout n’est pas encore parfait, mais nous sommes revenus à des taux tout à fait normaux.

Le Grand Paris Express a encore pris du retard. Keolis aura-t-il suffisamment de temps pour prendre en main les lignes 16 et 17, avant leur mise en service prévue mi-2027 ?

Nous sommes en parfait ordre de marche. S’il y a de nouveaux décalages, nous nous adapterons à ces délais. À ce stade, nous sommes en phase de préexploitation. Mais tout dépendra de l’ensemble des intervenants et de la Société des grands projets (qui pilote le chantier). Le sujet de la sécurité est primordial, non discutable, on ne peut pas se permettre de brûler les étapes. Par exemple, si une rame de métro automatique est « muette », qu’elle n’est plus localisable depuis le centre de contrôle, il n’y a pas le choix : vous êtes obligé d’arrêter le métro, il n’y a pas de débat. Quoi qu’il arrive, Keolis est prêt à s’adapter

Avez-vous des nouvelles du CDG Express ? La liaison directe entre l’aéroport de Roissy et la gare de l’Est sera-t-elle prête pour mars 2027 ?

Keolis exploitera le CDG Express avec RATP Dev, dans le cadre de notre groupement Hello Paris. J’ai, à ce titre, fait récemment une visite de terrain avec le président de la RATP, Jean Castex. Les équipes sont dans les temps et le chantier avance. Ce projet va totalement transformer et faciliter l’accès à l’aéroport Charles-de-Gaulle pour des millions de personnes, avec une fréquence toutes les quinze minutes.

par  Sébastian Compagnon