[Regards croisés] « Les choix de mix énergétique sont toujours spécifiques ! »

Si certains réseaux approchent de la neutralité carbone, près de 80 % des réseaux de transports publics dépendent encore de carburants fossiles. Partout, les Autorités Organisatrices de Mobilité (AOM) cherchent le mix énergétique idéal pour réduire leurs émissions à moindre coût. Rencontre aux antipodes avec Karl Orton, Directeur de la Flotte Keolis en Suède, et Jonathan Anderson, Directeur de la Mobilité durable de Keolis Downer en Australie, pour dégager quelques pistes dans ce grand casse-tête énergétique.

« Quand on m’interroge sur les véhicules électriques, je demande toujours quel est le problème spécifique à résoudre. »

Karl Orton, Directeur de la Flotte Keolis en Suède.

Karl Orton et Jonathan Anderson répondent à nos questions

Pulse : Karl, Jonathan, quel est le mix énergétique des réseaux que vous exploitez aujourd'hui ?

Jonathan − En Australie, nous faisons le grand écart : d’un côté Melbourne, où nous exploitons le plus grand réseau de tramway au monde 100 % à l’électricité renouvelable ; et de l’autre Sydney, Brisbane, Perth et Adélaïde, où des réseaux entiers de bus fonctionnent presque entièrement aux énergies fossiles. Entre ces deux extrêmes, en Australie Méridionale, certaines lignes ferroviaires sont électrifiées, tandis que d’autres roulent au Diesel.

Karl − Chez nous, en Suède, l’électricité provient de sources renouvelables : environ 45 % de l’électricité provient de l’hydroélectrique, et 45 % du nucléaire. Tous les véhicules fonctionnent avec des carburants alternatifs bas carbone, comme le biogaz (555 véhicules) et le biodiesel (plus de 1 000) dans les zones urbaines de Stockholm, Göteborg et Borås, et dans le comté de Dalécarlie.

Pulse : Vous n'avez donc pas de bus électriques ?

Karl – Si ! Nous en avons 59 en service, mais leur utilisation n’est pas si évidente : il faut non seulement réorganiser les dépôts pour gérer les recharges, mais aussi les digitaliser. Il est beaucoup plus simple d’adopter les biocarburants ; il suffit de convertir les véhicules Diesel existants, et c’est tout.

Jonathan − En Australie, certaines Autorités Organisatrices de Mobilité poussent pour que les bus Diesel en fin de vie soient remplacés par des véhicules à batteries. Mais l’électrification n’intervient que dans les dépôts offrant des capacités de plusieurs mégawatts et l’espace suffisant pour les stations de recharge. L’électrification des autres sites est plus problématique, même si des solutions existent comme à Sydney, où nous utilisons des pantographes pour permettre une recharge plus rapide qu’avec des connecteurs dans un espace très contraint.

« Je discute également avec l’AOM pour expérimenter des ferries électriques à Stockton, où un service de navette fluviale existe déjà. »

Jonathan Anderson, Directeur de la Mobilité durable de Keolis Downer (Australie).

Pulse : Les AOM auraient donc tort de recommander la traction électrique comme moyen de réduire les émissions ?

Karl − En Suède, cela fait plusieurs décennies que la décarbonation est en marche. Quand on m’interroge sur les véhicules électriques, je demande toujours quel est le problème spécifique à résoudre. S’il s’agit de réduire les émissions de carbone, les biocarburants sont souvent le moyen le plus simple et le plus rapide d’y parvenir, à condition d’avoir accès à d’importants volumes de ressources. N’oublions pas que ces bus fonctionnant aux biocarburants génèrent des émissions gazeuses, et sont aussi bruyants. Si l’on veut améliorer ces deux aspects, mieux vaut opter pour l’électrique.

Tout dépend aussi du type de services à exploiter. Dans les zones urbaines comme Stockholm, les itinéraires courts à fréquences élevées sont plus simples à électrifier que les routes nationales dans la région rurale de Dalécarlie. Les autorités doivent donc d’abord évaluer le coût total de possession, selon les tarifs locaux, avant de prendre une décision. Ne brûlons pas les étapes !

Jonathan − Je suis entièrement d’accord : les questions de mix énergétique sont toujours spécifiques. À Newcastle, par exemple, située au cœur de l’industrie du charbon australienne, la décarbonation se traduira par une modification du tissu économique de la ville. Heureusement, la région offre d’excellentes possibilités pour l’hydrogène : le soleil et le vent pour une électricité verte et, grâce aux infrastructures industrielles existantes, des capacités de stockage et de distribution. Nous voulons faire des essais avec 5 à 10 bus équipés de piles à combustible : la densité énergétique de l’hydrogène est supérieure à celle du lithium, avec une autonomie équivalente pour un moindre poids, mais avec tous les avantages de la traction électrique – haute efficacité, réduction sonore, maintenance réduite. Je discute également avec l’AOM pour expérimenter des ferries électriques à Stockton, où un service de navette fluviale existe déjà.