Transition énergétique : quel financement pour les transports publics ?

Alors que le coût de l’énergie ne cesse d’augmenter et que le business model du transport public ressort fragilisé de la crise de la Covid, comment accélérer le financement de la transition énergétique pour faire face à l’urgence climatique ?

Frédéric Baverez, Directeur exécutif France de Keolis répond à nos questions

Quel est l'enjeu du financement de la transition écologique dans les transports aujourd'hui ?

FRÉDÉRIC BAVEREZ − La transition énergétique va entraîner des surcoûts pour le transport public dès lors que les matériels roulants, notamment les véhicules électriques ou à hydrogène, coûtent plus cher que les véhicules diesel classiques et que ces énergies alternatives exigent aussi des investissements dans des infrastructures de recharge ou d’avitaillement. En parallèle, au-delà de la volatilité extrême des prix observée depuis sixmois, nous savons que nous devons nous inscrire dans la perspective d’un renchérissement structurel des coûts de l’énergie. À ce jour, l’essentiel de ces surcoûts a été porté par les Autorités Organisatrices, sachant qu’il est difficile de les répercuter dans le prix de vente aux usagers si l’on est à offre de transport constante.

Pourquoi l'État doit-il prendre davantage sa part dans le financement de la transition énergétique ?

FRÉDÉRIC BAVEREZ − D’abord parce que le transport collectif est en soi un élément de solution de la nécessaire transition écologique : c’est un contributeur direct à la décarbonation. Ensuite, parce qu’il soutient le pouvoir d’achat face à la hausse du coût de la mobilité individuelle motorisée. Enfin, parce que le rôle de l’État est d’encourager les filières technologiques innovantes et les mutations technologiques. Or, aujourd’hui, les aides publiques sont encore trop limitées en montant et trop ponctuelles via des appels à projets. L’État doit donc se mettre à la hauteur de la priorité qu’il revendique en faveur de la transition énergétique et apporter un soutien structurel et régulier au verdissement des transports du quotidien.

Quels mécanismes peut-on imaginer pour financer la transition énergétique ?

FRÉDÉRIC BAVEREZ − Pour être efficaces, les aides publiques doivent être clairement ciblées, lisibles, simples d’accès et surtout pérennes. Sur ces bases, il me semble que le plus pertinent serait de prévoir, pendant deux ou trois ans, d’apporter une subvention significative, comme les 100 000 euros par véhicule du dernier appel à projets de l’ADEME, à tout achat de bus ou de car électrique ou à hydrogène par une Autorité Organisatrice ou un opérateur. Les fonds du Green Deal de l’Union européenne pourraient être en partie fléchés sur ce soutien, qui pourrait avoir un vrai effet de levier.

Le coût de l'électrique va-t-il baisser ?

FRÉDÉRIC BAVEREZ − Avec le développement de la filière électrique, le coût total de possession d’un bus électrique sur quinze ans reste un peu supérieur, de l’ordre de 30%, à celui d’un bus diesel mais tend à s’en rapprocher. Si les performances des batteries sont en constante amélioration, notamment en termes d’autonomie ou de durée de vie, la principale incertitude actuelle concerne le prix de l’électricité dans le contexte de crise issue de la guerre en Ukraine : nous sommes confrontés à une envolée spectaculaire des prix, qui peut affecter l’équilibre économique des projets et qui frappe par ailleurs durement le transport public via la consommation des métros et des tramways.

Le rétrofit est-il une solution sérieuse ?

FRÉDÉRIC BAVEREZ − Le rétrofit s’est considérablement développé depuis un décret de mars 2020 qui facilite les démarches d’électrification de véhicules thermiques. Les équipes techniques de Keolis ont recensé près de 20 initiatives de rétrofit qui visent à convertir des véhicules diesel soit vers le GNV, soit vers l’électrique à batterie, soit vers l’hydrogène. Si les solutions techniques et les coûts ne sont pas complètement stabilisés pour l’instant, ces initiatives offrent beaucoup de possibilités. À ce stade, nous faisons trois premiers constats : l’âge initial du véhicule et la capacité de prolonger sa durée de vie sont déterminants ; le rétrofit est économiquement plus pertinent pour un car que pour un bus ; la conversion vers l’électrique semble devoir présenter le meilleur avantage économique par rapport à l’achat d’un véhicule neuf.

Sanctuariser le versement mobilité

Le versement mobilité représente 45% du financement des transports urbains en France , soit un peu plus de 9 milliards d’euros en 2021. Assis sur la masse salariale des employeurs publics et privés de 11 salariés et plus, il est fréquemment remis en cause par certaines organisations patronales, ce qui rend plus que nécessaire sa sanctuarisation dans ses modalités de fonctionnement actuelles. Une réflexion va être menée par le conseil scientifique du GART (Groupement des autorités responsables de transport) pour un nouveau modèle de financement des transports publics, afin de réfléchir à des ressources plus fiables et plus pérennes. Une fiscalité écologique et socialement soutenable serait notamment une piste à explorer.