Dans moins de vingt ans, la France franchira un cap démographique inédit : en 2044, notre population atteindra son pic historique avec près de 70 millions d’habitants, avant d’entamer un lent déclin. Le véritable bouleversement, toutefois, est ailleurs.
À cette date, le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus aura progressé de plus de 25 %, passant de 14 à 18 millions et celui des plus de 85 ans bondira de 70 %. Cette mutation inédite ne concerne pas seulement nos politiques de santé ou d’habitat. Elle bouleversera aussi nos usages de l’espace public et surtout de la mobilité.
Car en effet, les transports publics sont à la croisée des chemins. Comment continuer à faire société si l’accès aux déplacements devient inégal entre les générations ? Comment garantir l’autonomie de nos aînés sans penser dès aujourd’hui une offre de transport qui anticipe ces nouveaux besoins ? Agir dès maintenant est la seule manière d’y répondre efficacement.
Aujourd’hui, les seniors réalisent en moyenne 2,4 déplacements quotidiens, contre 3,8 pour les actifs. Leur mobilité est plus locale, moins régulière, souvent dictée par des besoins de santé ou de lien social. Et pourtant, 35 % des plus de 75 ans ne se déplacent pas du tout certains jours. Ce n’est pas toujours une fatalité liée à l’âge : c’est souvent une conséquence directe d’un système de transport encore trop peu adapté.
En tant qu’opérateur de transports publics, le Groupe Keolis a voulu comprendre comment l’évolution démographique allait transformer les mobilités. Dans les territoires, l’engagement des élus locaux fait déjà émerger de nombreuses initiatives et des solutions innovantes. Mais sans inflexion forte, la mobilité collective risque de se raréfier en périphérie faute de fréquentation suffisante et de ressources financières stables. Car à la baisse de la population active et donc des recettes issues du versement mobilité s’ajoute une autre contrainte : celle d’une politique tarifaire solidaire, légitime, mais impactante, avec une part croissante de seniors bénéficiant de gratuités ou de réductions. Les seniors représentent déjà 22 % des utilisateurs des tarifs préférentiels des transports publics. En 2044, cette proportion pourrait dépasser 30 %.
Dans ce contexte, le vieillissement de la population accentue la fragilité de l’équilibre économique des transports publics, rendant d’autant plus essentielle la mise en place de financements pérennes pour garantir leur avenir. La conférence “Ambition France Transports” a constitué un moment charnière, en posant les bases d’un financement durable et d’une gouvernance renforcée, indispensables pour préserver l’avenir des transports publics face au défi démographique.
Mais plutôt que d’y voir une menace, faisons du vieillissement une chance. Une opportunité d’accélérer une transformation déjà en marche. Trois leviers sont dès lors essentiels. Mettre l’accessibilité universelle au cœur des investissements alors qu’aujourd’hui, seulement 42 % des réseaux de transport urbains français déclarent avoir atteint une accessibilité complète. Réinventer des offres plus flexibles, plus lisibles, à la fois collectives et individualisées comme le transport à la demande, la mobilité autonome ou le transport sanitaire. Adapter nos horaires, nos infrastructures, nos interfaces et notre gestion des flux.
C’est également un enjeu territorial. Dans les zones denses, il faudra renforcer la lisibilité et la présence humaine. Dans les zones rurales et périurbaines, où vivent plus de 70 % des seniors, il s’agira d’assurer un droit fondamental : celui de se déplacer, même en dehors des logiques de rentabilité immédiate.
Enfin, il y a un défi humain. Car dans une société où la pyramide des âges s’inverse, il faudra aussi recruter, former et fidéliser une nouvelle génération d’agents de la mobilité, tout en favorisant l’emploi senior dans nos métiers.
Le vieillissement n’est pas un horizon sombre. C’est une réalité que nous avons la responsabilité d’accompagner tous ensemble : État, collectivités, associations, citoyens et entreprises.
Ne dit-on pas que l’on juge du degré de civilisation d'une société à la manière dont elle traite ses anciens ? Alors faisons des transports publics un pilier de la société du bien vieillir : consolidons l’offre, garantissons la pérennité du financement, recrutons et formons les talents de demain, et poursuivons l’amélioration et l’accessibilité des services pour tous.
Interview La Tribune


